vendredi, août 11, 2006

Gran Turismo 4... Rêve polyphonique.



Cet article a été originellement publié dans le webzine xgital n°2.

Pour certains, Gran Turismo est le jeu de course ultime, un projet aux dimensions pharaoniques. Pour d'autres, ce n'est qu'une habile opération publicitaire mettant en valeur une belle brochette de constructeurs automobiles et de fabricants d'huiles de moteurs. Pour Sony, l'éditeur du titre, soucieux de mettre en avant une recherche de réalisme auparavant inédite sur console, c'est "le vrai simulateur de pilotage". La vérité, bien entendu, c'est qu'il n'est rien de tout cela et qu'il échappe à la catégorisation facile. Jeu de course ou simulateur ? Ce ne sont que des adjectifs, des mots un peu vains, voire même une perte de temps visant à enfermer dans un cadre rationnel ce qui y échappe naturellement.
Car, avant d'être quoi que ce soit, Gran Turismo est un jeu vidéo au sens le plus pur et le plus strict du terme. A la manière des plus grands, il a son propre touché. Comme celui de Mario, celui de Gran Turismo est unique, reconnaissable entre mille. On parle ici de l'essence constituante d'un jeu vidéo. Cet équilibre fragile où technologie et gameplay sont au service de l'imaginaire et se mélangent à l'unisson pour donner corps à la chimère. Malgré les apparences qui pourraient laisser supposer que boucler des tours sur un circuit au volant d'un voiture est l'expression la plus basique du gameplay, il faut savoir que Gran Turismo est l'un des jeux les moins mécaniques, les moins évidents qui soit. Il ne s'agit jamais de mémoriser une séquence (le circuit) puis de la répéter avec le bon timing pour réussir son objectif.
Si c'était aussi simple bien sûr, tout le monde serait capable d'enchaîner les hot lap sur le Nürburgring au volant d'une Dodge Viper. Et c'est loin d'être le cas. Gran Turismo prend en considération un facteur rarement pris en compte dans les jeux vidéo : l'imprévisibilité. Il est impossible de faire deux fois le même tour et cela peu importe la complexité du circuit. Même sur un ovale de vitesse, le chrono ne sera jamais deux fois identique. Pourquoi ? Parce que les paramètres changent perpétuellement : le joueur/pilote ne prendra jamais de la même façon un même virage. Nous avons là une sorte d'application vidéo-ludique de la théorie du chaos. Rien n'est vraiment prévisible et le joueur doit constamment s'adapter, s'ajuster au comportement de sa voiture et à l'interaction entre celle-ci et l'environnement extérieur. Et si ce jeu n'était finalement rien de plus qu'une métaphore de la vie ?
Dès sa sortie en 1998 sur PlayStation, Gran Turismo fut un coup de maître. Il disait déjà tout, les épisodes suivants, et donc Gran Turismo 4, ne firent qu'affirmer un propos contenu à l'état brut dans le premier opus. C'est sans doute pour cette raison qu'il est de bon ton de reprocher à la série son manque de renouveau d'un épisode à l'autre. C'est évidemment faux, mais le coeur d'un Gran Turismo ne bat que pour ceux qui sont attentifs aux petits détails. Faut-il rappeler que c'est dans Gran Turismo 2 que naquit la meilleure reproduction de rallye jamais vue ? Gran Turismo 3 A-Spec, lui, proposa la meilleure réplique de conduite sur route mouillée. Avec un souci du détail propre aux plus minutieux des artisans, chaque nouvelle itération apporte son lot de petites inventions.
Sans doute l'ultime opus de la série sur PlayStation 2, Gran Turismo 4 en extrait toute la puissance et conjugue au pluriel un moteur graphique déjà impressionnant de son prédécesseur. L'ensemble est d'une beauté saisissante de par la reproduction organique des véhicules et des pistes.
Polyphony Digital ne s'est pas attaché à créer des modèles lourdement polygonés, pas plus qu'ils n'ont cherché à emballer leur jeu d'effets 3D haut de gamme. Ils préfèrent laisser ces considérations aux techno-comptables qui ne retiendront que les sempiternelles "jaggies" marque de fabrique de la PlayStation 2. Les créateurs se sont plutôt consacrés à rendre vivants leurs véhicules et leurs environnements. Il faut voir ces voitures bouger lors de ses fameux Replays pour réaliser à quel point elles paraissent palpables, prêtes à jaillir de l'écran. Les yeux ne sont pas les uniques bénéficiaires du travail d'orfèvre des développeurs. Les oreilles sont également sollicitées dans un ballet auditif en grande partie responsable de l'immersion procurée par le jeu. Incroyablement réalistes dans leur puissance comme dans leur subtilité, les sons des moteurs et de tous leurs régimes sont reproduits comme si le joueur était vraiment en train de foncer à plus de 200km/h sur le "Nür". Sans parler des bruitages confondants de réalisme du sable et du gravier lors des courses de rallye, ni même du frottement des roues contre la glace lors des tracés enneigés, c'est encore la présence de l'air qui renforce l'impact sonore.
Entendre le frottement de l'air fut l'une des nouveautés de Gran Turismo 3 A-Spec, mais dans ce quatrième opus, la gestion ambiophonique du son (Dolby Surround Pro-Logic II) lui donne définitivement une épaisseur supplémentaire. Chaque accélération, chaque dépassement, chaque prise d'aspiration donnent corps à cet élément immatériel qui devient ainsi une force tangible, une sorte de quatrième dimension, un lien invisible entre le joueur et le jeu.
Il serait sans doute temps de parler des modes de jeu proposés par Gran Turismo 4... Mais cet exercice n'est-il pas un peu inutile ? Pourquoi ruiner consciemment l'expérience du joueur ? A quoi bon lui gâcher son premier rendez-vous en détaillant les épreuves de permis, le mode A-Spec et B-Spec, ou encore en lui décrivant dans les moindres détails en quoi consiste le mode Photo. Il suffit de dire que Gran Turismo 4 regorge de modes de jeu, de voitures anciennes et nouvelles, de circuits originaux et légendaires et puis laisser le joueur décider de son aventure.
Car, en dernière analyse, Gran Turismo, comme toutes les légendes qui peuplent notre imaginaire, est avant tout une histoire d'amour et les plus belles d'entre elles sont essentiellement une affaire d'intimité.
Gran Turismo 4. PlayStation 2. Développeur(s) : Polyphony Digital. Editeur : Sony Computer Entertainment Europe.